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Actualités
08 juin 2020
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« Une société inclusive doit s'en donner les moyens »

Le gouvernement lance une démarche baptisée « communautés 360 » organisée autour d’une plateforme téléphonique nationale censée offrir à chaque personne en situation de handicap et à chaque famille des réponses à leurs besoins d’accompagnement. L'Unapei craint que ce nouveau numéro vert, lancé alors que nous sommes toujours en pleine période de crise, vise à reconfigurer l’offre médico-sociale de façon précipitée. Une méthode qui, sous couvert de bonnes intentions, sonne comme un retour en arrière pour des personnes et des familles qui ont besoin d’être prises en compte avec respect et dignité et de façon pérenne. Rencontre avec Luc Gateau, président de l’Unapei.

Quel regard portez-vous sur cette initiative du gouvernement ?

Luc Gateau : Nous œuvrons depuis des années pour une société plus solidaire et plus inclusive. Dans ce cadre, l'important pour nous, est de répondre aux besoins et aux attentes des personnes en situation de handicap et à ceux de leurs familles en ayant une exigence de qualité de l’accompagnement pour chacun. Chacun doit pouvoir mener la vie qu'il souhaite. De ce fait l’intention mise en avant pour déployer ces communautés 360 pour répondre à toutes les personnes en défaut de solution d’accompagnement n’est pas critiquable. Cela fait des années que le Mouvement Unapei interpelle les pouvoirs publics sur leur situation. Depuis toutes ces années d’alerte, que le gouvernement s’en préoccupe est positif, au moins sur le papier. 

Vous laissez entendre que dans les faits ce n’est pas le cas ?

LG : En effet. Ce numéro nous est présenté comme devant proposer des solutions à ceux dont les besoins se sont fait jour pendant la crise. Mais qu'en est-il de ceux dont les besoins étaient déjà identifiés avant la crise et qui attendent ? Pour eux, l'absence de solutions est due à l'absence de moyens. Pour eux, le gouvernement ne donne pas de réponse.
J'ai interpellé la ministre à ce sujet en la questionnant sur le sens global du projet. Comment ce nouveau numéro va-t-il s'articuler avec les dispositifs existants ? Je pense notamment à la réponse accompagnée pour tous ou aux récents pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE). J'ai aussi rappelé que le mouvement Unapei craignait que les moyens alloués à ce dispositif ne soient pas à la hauteur des besoins réels de ceux que nous représentons et accompagnons.

Qu’est-ce qui ne vous convient pas concrètement ?

LG : Le sujet sous-jacent est la transformation de l’offre médico-sociale pour le bien-être de milliers de personnes. La tournure que cela prend avec ce projet, à la sortie d’une crise sans précédent, nous questionne. Nous sommes des acteurs importants, impliqués et volontaires sur les territoires de cette transformation. L’Unapei a été à l’origine de la plupart des solutions qui existent en France et nous innovons sans cesse depuis l’origine, questionnant, transformant et adaptant nos pratiques en fonction des attentes des personnes accompagnées quitte à bousculer parfois le cadre réglementaire souvent bloquant. Transformer, c’est un de nos leitmotiv dès lors que cela correspond aux attentes des personnes accompagnées. Mais la transformation de l’offre telle qu’elle est envisagée par le gouvernement nous semble être loin des critères de qualité de vie auquel nous ne dérogerons pas. La crise ne peut pas être un prétexte pour proposer une offre de services a minima.
Dans les faits, cette plateforme 360 aiguillera les demandes vers les associations en leur déléguant la responsabilité de trouver des solutions pour les personnes, de répondre aux familles, alors que les moyens ne suivent pas !  Les personnes, les familles, ont certes besoin d’une écoute et de coordination mais elles ont besoin de réponses concrètes, elles ont besoin de moyens pour combler le manque d’accompagnement. Et quel sera le rôle de l’Etat ? La solidarité nationale déjà largement mise à mal est pourtant si nécessaire dans le contexte actuel.

Parmi les 150 projets de communautés 360, il y en a de nombreux qui sont pilotés par les associations du réseau Unapei, n’est-ce pas contradictoire ?

LG : Effectivement, parmi les projets qui composent aujourd'hui les communautés 360, nombreux sont ceux qui étaient préalablement existants et déjà portés par nos associations. D’autres proposent de nouvelles solutions d'accompagnement innovantes qui sont nées lors de la crise et qui ont vocation, pour certains, à être pérennisées parce qu'ils répondent aux besoins des territoires. Mais dans ce cas, à quoi sert ce dispositif et ce numéro national s'il renvoie vers les dispositifs déjà existant sans moyens supplémentaires et donc sans capacité d’actions pour plus de personnes ? Encore une fois, c'est la philosophie du projet que nous interrogeons et sa plus-value. 

Pourtant la crise actuelle a révélé de nombreuses actions innovantes en matière d’accompagnement, notamment à distance. Ne faut-il pas s’en inspirer pour construire de nouveaux dispositifs ?

LG : Il est vrai que cette crise a particulièrement mis en lumière la créativité des personnes en situation de handicap de leurs familles et des associations, comme celle des professionnels qui se sont investis pour maintenir au mieux les accompagnements et répondre aux demandes. Mais, pour autant, utiliser cette période comme une expérimentation grandeur nature d'une inclusion a minima nous semble inacceptable. Concrètement, sans moyens supplémentaires, cela reviendra à dire aux familles « vous avez réussi à vous débrouiller pendant la crise, on va donc continuer ainsi et financer des solutions de répit pour que vous puissiez souffler et que cela tienne tant bien que mal ». Sous couvert de modernité, c'est un véritable retour en arrière !

L'Unapei critique la recherche de solutions de répit ?

LG : Pas du tout ! Nous soulignons au contraire l'épuisement supplémentaire que la crise a induit pour les familles et nous questionnons le modèle que le gouvernement souhaite proposer pour l'avenir.
Pour nous, une solution d'accompagnement adaptée, complète, durable et de qualité doit permettre aux familles de trouver un équilibre pérenne. Il ne s’agit pas trouver ici et là des bouts d’accompagnement composite et estimer que pour les cas les plus complexes cela peut tenir lieu d’accompagnement. Nous réaffirmons avec force que la qualité de vie des personnes et des familles, l’accompagnement choisi et la recherche du maximum d’autodétermination des personnes en situation de handicap intellectuel et cognitif demande des moyens et doit être financée par la solidarité nationale !
L'inclusion, ce n'est pas renvoyer les personnes dans les familles, à la seule charge de leurs parents, et laisser aux associations la responsabilité d’accompagner les personnes sans solution d’accompagnement, sans leur donner de moyens supplémentaires. Avoir un enfant en situation de handicap intellectuel et cognitif ne doit pas mettre les familles dans l'obligation de s'en occuper à plein temps en s'épuisant, faute de solutions d'accompagnement adaptées. Une société inclusive doit s'en donner les moyens !